vendredi 4 mai 2018

LA RÈGLE DU JEU
Vendredi et Robinson occuperont, dès le 24 mai, les librairies.
Rencontre avec Gilles Barraqué qui a comme projet littéraire de "continuer à prendre du plaisir à écrire, au gré d’une humeur parfois fantasque" et ainsi, au gré de son humeur vagabonde, de chercher le vertige de l'écriture. Contraintes et littératures, intuitions et respects, différences harmonieuses et monde de l'enfance, sous le prisme du jeu, aujourd'hui comme les autres jours (Première partie)


© Hélène Rajcak


SUIVRE LA PENTE
La genèse de ce texte est le fil d’une pente. Je projetais un recueil de textes courts soumis à une contrainte oulipienne (la variation sémantique d’une formule de conte traditionnel, appliquée aux titres, chaque texte répondant alors à l’évolution de cette formule). Le premier texte pondu fut la nouvelle qui entame ce Vendredi. J’ai aimé l’humeur, la définition de ce petit monde, de ses personnages. Au point que le deuxième, puis le troisième texte développaient ce même monde. J’ai suivi la pente, et décidé que tout le recueil introniserait ce Robinson, ce Vendredi, dans ce contexte. Ne restait plus qu’à réfléchir à la structure, à l’organisation, au mouvement d’ensemble.
À noter que toutes les nouvelles obéissent à la contrainte initiale (ce jeu précis de variation de titres), mais que celle-ci n’apparaît plus – j’ai choisi d’autres titres. Tel quel, le recueil se passait d’un plan supplémentaire oulipien.

Jouer et Écrire, jouer À Écrire, Écrire en jouant
Vendredi ou les autres jours est un petit recueil de jeu et d’humeur.
Sur le jeu : l’intention initiale était donc le jeu de contrainte oulipien, la liberté de création qu’il induisait. Mais plus largement, j’envisage l’écriture fictionnelle comme un jeu. L’auteur y convie le lecteur : jouons à croire à ce qui est écrit. C’est un partenariat, ou comme une distribution de rôles. La relation auteur/lecteur fonde l’écriture. Incidemment, le jeu d’écriture du recueil adopte l’angle spécifique… du jeu ! D’un bout à l’autre, Robinson et Vendredi jouent ensemble, l’un avec l’autre, l’un contre l’autre. Mais il n’est pas question pour eux de passer le temps ; ils ne trompent pas leur ennui : ils définissent une donnée de leur espace-temps, posent le jeu en règle de vie.
Sur l’humeur : je voulais qu’elle soit légère, je visais à un plaisir premier de lecture, au divertissement. Ce qui n’évacue pas un arrière-plan réflexif. Mais on ne peut pas parler là de discours. Le processus de l’écriture est toujours un peu trouble. Dans ce plan réflexif, on navigue entre intentions délibérées, intuitions, laisser-aller (ce qui échappe à l’auteur), et respect de la définition du petit monde installé.
© Hélène Rajcak
TOUS LES Robinson et Vendredi
Le recueil est né de la rencontre de ces deux personnages ou figures.
La première rencontre, c’est bien sûr dans le Robinson Crusoé de Defoe, à l’âge des lectures de préadolescent. Plus tard, Vendredi ou les limbes du Pacifique, de Michel Tournier, a été l’occurrence de retrouvailles. Robinson est un mythe littéraire, comme Don Quichotte ou Pinocchio – il y en a d’autres, mais ils ne sont pas si nombreux. L’intronisation d’une figure forte et singulière vise à l’emblématique : c’est le rapport à soi-même, au monde, à l’autre, qui est interrogé.
Pour ce Vendredi, la référence serait plutôt le Tournier que le Defoe. Tournier a exploré le rapport à l’autre, la coexistence dans les conditions d’isolement dans l’île. Il s’agit de la recomposition d’une société – dès lors que deux individus sont confrontés. C’est plus intéressant que le strict rapport à la solitude.
Par ailleurs, le fait que l’un soit Noir et l’autre Blanc n’est sûrement pas neutre – leur différence d’âge ne l’est pas non plus. Dans mon Vendredi, il est question d’une harmonie trouvée, cultivée, mais pas dans une fusion béate, et pas en niant la différence. L’autre reste un autre, avec son identité. Trouver un agrément dans la coexistence ne va pas de soi. Ça passe par la confrontation, et l’institution de règles – qui subissent parfois quelques entorses… En l’occurrence, Robinson et Vendredi transposent la confrontation par le jeu. Au final, ils posent et partagent un modus vivendi, presque un art de vivre, sans que soit établi un rapport de domination.
© Hélène Rajcak
RÈGLES ET ENTORSES
Robinson et Vendredi jouent, mangent, mentent… et ils boivent, et ils fument. Résolument transgressif. Ils privilégient un plaisir premier et cependant codifié (la cuisine, la musique, les jeux…).
C’est bien sûr une image du monde de l’enfance. Les projections imaginaires, le refus de la continence, l’assouvissement dans l’instant, la transposition par le jeu en sont des composantes. À noter que le jeu n’a pas qu’une vertu de divertissement ; il recouvre aussi une gravité. Les enfants s’engagent gravement et entièrement dans le jeu. Ils en sortent avec légèreté, ayant, comme une grâce, la conscience innée de la fugacité.


© Hélène Rajcak
A suivre, la seconde partie de l'entretien, Qu'en pensez-vous ?


Vendredi ou les autres jours
Gilles Barraqué, illustrations d'Hélène Rajcak
Collection Polynie